Abel Eyinga: Le vrai combat en ce moment n'est pas l'incription sur des listes frauduleuses, mais pour une vrai CENI
Inscription massive sur les listes électorales et transparence électorale : Réflexions sur la présidentielle d’octobre 2004 (I)
De quel problème l’inscription massive sur les listes électorales est-elle la solution ? En tout cas pas de la transparence électorale dans le contexte actuel où c’est le Minat, c’est-à-dire en réalité le président-candidat Paul Biya, qui organise et contrôle de bout en bout l’ensemble du processus électoral dont il devient de ce fait à la fois juge et partie, joueur et arbitre. La preuve en est que toutes les irrégularités et toutes les fraudes commises par les préfets et les sous-préfets, agents territoriaux du Minat, sont systématiquement couvertes et avalisées par lui.
Dans un tel contexte, les huit millions d’électeurs potentiels du pays peuvent s’inscrire sans que les élections cessent d’être frauduleuses, la mission du Minat depuis l’indépendance étant de manipuler le scrutin de telle manière que le chef d’Etat en exercice, candidat officiel, en sorte « vainqueur ». Et c’est ce qui s’est fait, sans exception aucune, lors des neuf scrutins présidentiels passés de1960, de 1965, 1970, 1975, 1980, 1984, 1988, 1992 et 1997. L’observation montre ainsi que chez nous, il faut être déjà au pouvoir pour « gagner » une élection puisqu’il faut avoir la haute main sur le Minat et ses agents territoriaux pour bénéficier de la fraude. C’est aussi cela qui se passera au mois d’octobre si le scrutin est organisé par le Minat : celui-ci est en effet capable de fabriquer deux ou trois fois plus de fausses cartes d’électeur que les huit millions de cartes attribuées aux huit millions d’électeurs potentiels. Lors du double scrutin de 2002, on a trouvé neuf mille fausses cartes du genre au domicile à Douala de Mme Françoise Foning, militante de choc du parti du président Biya et amie personnelle de Chantal Biya. Le Minat trouvera sans peine deux mille Foning, avec neuf mille cartes chacun (soit un total de dix-huit millions de cartes) pour neutraliser et noyer complètement l’effet des huit millions de cartes mises à la disposition des huit millions d’électeurs potentiels.
En revanche, avec seulement mille ou cinq cents électeurs inscrits, le Cameroun peut connaître le bonheur d’une élection libre et honnête, laquelle ne peut être organisée que par un organisme lui-même impartial et indépendant du chef d’Etat en exercice.
Le problème crucial de la transparence électorale n’est donc pas un problème quantitatif, mais qualitatif. Exclusivement qualitatif. Ceux qui invitent en ce moment les Camerounais à s’inscrire en masse sur les listes électorales du Minat-Biya, en leur laissant entendre que du grand nombre d’électeurs inscrits sortira la transparence électorale, c’est-à-dire une élection libre et honnête, se trompent et trompent les Camerounais, consciemment ou inconsciemment. Volontairement ou involontairement. De bonne ou de mauvaise foi.
En avril 2002, après l’annonce de la date du double scrutin de juin, l’opposition officielle (issue du parti unique de Biya et représentée à l’Assemblée nationale du RDPC) avait invité les Camerounais à s’inscrire, en masse, sur les listes électorales du Minat. Ce qu’ils ont fait. Résultat : une fraude encore plus épaisse et plus massive que lors des précédents scrutins de 1997/1992, et qui a amené les observateurs chrétiens de Justice et Paix à formuler le vœu suivant, en conclusion de leur Rapport : « Que des scrutins à l’instar de celui du 30 juin 2002, au vu des irrégularités dont il a été émaillé, ne soient plus jamais validés ni par des juges, ni par quiconque ». L’opposition officielle aussi a dénoncé les mêmes irrégularités dans son Rapport préliminaire des partis politiques de l’opposition daté du 2 juillet 2002 en attirant plus spécialement l’attention sur « des irrégularités et fraudes généralisées et multiformes portant sur les inscriptions sélectives sur les listes électorales, la distribution chaotique et orientée des cartes d’électeur… »
Comment se fait-il que la même opposition officielle, qui se fait appeler « Coalition » depuis quelques mois, muette sur la véritable cause des irrégularités et des fraudes qu’est le Minat-Biya, se permette d’inviter à nouveau les Camerounais à recommencer ce qu’ils ont déjà fait sans succès en 2002, à savoir s’inscrire en masse pour des élections organisées par le même Minat qu’il y a deux ans, et dont le plus naïf des Camerounais connaît déjà le résultat?
Le vrai combat citoyen à mener en ce moment, dans l’intérêt de notre pays, n’est pas l’inscription massive ou non pour des élections frauduleuses ; le vrai combat que doivent entreprendre les partisans sincères et conséquents de la transparence électorale, de l’alternance et du changement porte sur la nature de l’organe chargé de l’organisation des élections. Aucune élection libre et honnête ne peut sortir d’un scrutin organisé par le Minat, en réalité par le président-candidat Paul Biya, Marafa Hamidou Yaya n’existant politiquement et professionnellement que par la volonté de Paul Biya, et pour le servir.
Nous verrons la semaine prochaine comment organiser et mener ce combat de salut national. Mais d’ores et déjà, chacun doit savoir que c’est tout le monde qui sera sollicité, du moins ceux qui pensent que le Cameroun mérite mieux et sont prêts à tout faire pour l’avènement d’un véritable changement qualitatif. Celui-ci ne pourra venir que de l’action des Camerounais, de l’intérieur comme de l’extérieur. La révolution se produit là où il y a des révolutionnaires.
(à suivre)
Jeudi 13 mai 2004
Abel Eyinga