Hommage de Guérandi au Mpodol
Cameroun : Epilogue de Guerandi Mbara sur le cinquantenaire de l’assassinat de Ruben Um Nyobè
Le
Dr. Guerandi Mbara est l’un des principaux meneurs du putsch manqué du
6 avril 1984. Depuis lors, il vit en exil mais, rêve de revenir au
Cameroun en libérateur... Au pays des hommes intègres où il se trouve,
il officie non seulement en conseiller militaire du président Compaoré,
mais en plus, il réalise le conseil dans des domaines aussi variés que
le développement, la politique administrative, la politique
internationale et… la stratégie militaire. En plus de ces activités,
l’ancien putschiste profite de ses années d’exil pour commettre des
publications sur le devenir de son pays le Cameroun. Dans cette
réflexion du capitaine Guerandi parvenue ce jour à la rédaction de
Camer.be, il épilogue sur Um Nyobé à l'occasion du cinquantenaire de
l'assassinat de ce dernier.
Au moment où Ruben Um Nyobé bénissait
par son sang le « berceau de nos ancêtres », de suite d’un assassinat
par les troupes coloniales de la France le 13 septembre 1957, les
ennemis de l’émancipation de l’Afrique ne se doutaient pas du
symbole-être qu’ils venaient de sacraliser. Les Patriotes sincères
commémorent aujourd’hui le cinquantenaire de l’assassinat de «Mpôdôl ».
Comme le souligne Edgar Morin, la dialectique ne marche ni sur les
pieds ni sur la tête, elle tourne parce qu’elle est avant tout jeu
d’inter-rétroaction, c’est-à-dire boucle en mouvement perpétuel. Le
cinquantenaire de l’assassinat de «Mpôdôl» donne l’opportunité de
revisiter notre Histoire pour en tirer la raison existentielle de notre
peuple au présent et au futur. Comme disent les historiens, la
rétrospective fait de la prospective. Le passé prend son sens à partir
du regard postérieur qui lui donne le sens de l’histoire. La
perspective sur le présent est donc nécessaire à toute prospective.
Il y a 50 ans que le «Mpôdôl» nous a
légué plusieurs messages significatifs et prospectifs. A la naissance
de l’idéologie originelle de la libération du Cameroun, il fallait que
les fondateurs de l’UPC fissent preuve d’invention politique dans la
mesure où une telle idéologie est constitutive du lien social dans une
perspective de refondation et des espérances légitimes du peuple. A ce
sujet, Ladrière note que « l’invention du politique est d’abord
l’invention de l’espace social à l’intérieur duquel le politique comme
tel pourra devenir une vraie question, c’est-à-dire une question
capable de se traduire en décisions précises quant aux institutions,
donc quant à la forme de la vie collective .»
« Ce que veut l’UPC » est consigné
dans des observations de R. Um Nyobé devant la 4ème Commission de l’ONU
en 1952 en des objectifs immédiats et des revendications nationales.
D’une part, « Grouper les populations du Cameroun en menant une lutte
résolue contre les divisions tribales, contre le racisme, contre toute
discrimination basée sur les conceptions religieuses» et d’autre part,
« La réunification est la condition indispensable pour l’accession du
Cameroun à l’indépendance. »
Très tôt, le «Mpôdôl» et ses camarades
ont compris la nécessité du « vivre-ensemble » pour bâtir la NATION
camerounaise. A cet effet, le « vivre-ensemble » des Camerounais
devrait se traduire d’abord, au niveau des composantes nationales et
ensuite à celui des parties du pays à réunifier (West Cameroon et
Cameroun oriental). D’où la volonté de rassembler les composantes
sociologiques et de considérer les enjeux géopolitiques dont les
symboliques se trouvent trempés dans le sigle « UPC » (Union des
Populations du Cameroun) et les objectifs stratégiques poursuivis
(REUNIFICATION et INDEPENDANCE) .
Dans les pays africains, la
société/communauté n’est pas homogène à cause des facteurs tels que
l’occupation de l’espace, l’instabilité des populations, la mobilité
résidentielle, le statut politique du citoyen et des entités (ethnie,
collectivités locales, organisations de la société civile, etc.), et
l’absence d’un Etat de droit. Par conséquent, le vivre-ensemble
national et panafricain serait mieux pensé à travers « les paradigmes
de la diversité et de la différence ».
Désormais, la question est la suivante
: A partir des entités, en l’occurrence des ethnies, des collectivités
territoriales et des organisations de la société civile, comment gérer
la diversité interne et les conflits en fonction des réalités
sociologiques et politiques? Autrement dit, comment penser la manière
africaine de vivre ensemble dans un territoire?
Un des défis majeurs pour la
pérennité du « vivre-ensemble » est le renforcement relationnel entre
les différentes composantes de notre société/communauté . Pour donner
corps au message posthume de R. Um Nyobé, il est nécessaire : 1) de
refonder une superstructure idéologique et philosophique, 2) d’avancer
avec le passé et notre diversité, et 3) surtout d’apaiser les cœurs et
les esprits, et tout en réconciliant les citoyens, les composantes
sociales et le peuple avec lui-même.
Refonder une superstructure idéologique et philosophique
Le nationalisme de R. Um Nyobé et de
l’UPC avait pour expression la signification du sigle « UPC » et la
réalisation des objectifs visant la Réunification et l’Indépendance.
Pour R. Um Nyobé, réunifier d’abord le Cameroun était un préalable pour
l’indépendance devenue un facteur de l’idéologie nationaliste.
En effet, avant le développement
économique, social et technologique, il importe d’opérer la révolution
morale et culturelle. C’est « une révolution de l’état d’esprit » et
une refondation de la superstructure idéologique et philosophique.
Bref, elle constitue l’opération morale et psychologique, nous
permettant d’avoir notre « propre centre d’initiative et de création.»
Dans le cadre de cette révolution morale et culturelle, la volonté
politique et la culture de l’action sont des valeurs essentielles
parmi d’autres.
C’est pourquoi, s’impose une lecture
minutieuse de l’éthos africain afin de scruter les valeurs qui
constituent notre patrimoine si nous voulons bâtir le présent et
l’avenir. Pour les jeunes par exemple, une forme de structure sociale
fondée sur la culture de nos terroirs et présente dans l’imaginaire
populaire, constitue une approche organisationnelle. Remémorons-nous
qu’à travers son contenu, l’initiation inculquait aux jeunes les
valeurs suivantes: la responsabilité collective, l’esprit de service
communautaire, le courage, la maîtrise de soi, l’audace, le sens du
bien commun, le sens de la vie, la solidarité, la participation à la
vie de la communauté, la vie du groupe et la sociabilité.
La
matérialisation de ce projet « édifier et consolider la Nation », ce «
vouloir vivre ensemble » passe donc par le démantèlement des mécanismes
d’aliénation et d’obscurantisme, c’est-à-dire l’acquisition de la
conscience nationale. Elle doit s’adresser surtout aux jeunes en vue de
l’émergence d’une jeunesse patriotique et consciente de son devoir
envers la nation. Toute chose qui transcende le passé et nos multiples
réalités.
Avancer avec le passé et notre diversité
La première forme de valorisation des
cultures du terroir est la reconnaissance de ce que «tradition» n’est
pas l’ennemie de la «modernité». Avancer vers la mondialisation des
échanges, l’internationalisatio n de la communication, le «village
planétaire» et tout autre moyen de production du lendemain ne
constituent pas des contre-garanties de la visibilité des «communautés
culturelles» dans l’espace public. Il faudrait prendre en compte les
dynamiques communautaires, régionales et ethniques dans la
reconstruction d’une identité nationale. Qu’est-ce qu’une «nation»,
sinon la conjonction articulée de toutes ces différences qui
participent, toutes, de la mise en perspective et de la multiplication
des forces et atouts d’un groupe de populations vivant sur le même
territoire.
Dans un pays que hante depuis si
longtemps le fait «communautaire» , «ethnique» ou «clanique», dans un
pays où l’ethnie est depuis plusieurs décennies l’objet de
manipulations et de récupérations, on peut percevoir le risque d’un tel
discours. Il peut donner le sentiment de maintenir les sectarismes et
les illusions de «l’équilibre régional», tels qu’ils ont perduré
jusqu’alors, sans fondement moral ni culture intellectuelle. Non ! Il
ne s’agit pas de placer la différence au centre de l’enjeu de
production d’un espace public, mais la valoriser comme une ressource
d’échanges, de fermentations de ce que chaque groupe de populations a
de meilleur.
Cela d’autant que l’époque dite
«postmoderne» que nous vivons actuellement est fondamentalement celle
de la montée des particularismes, de revendications identitaires de
toutes sortes, et de toutes ces subjectivités qui sont loin d’être un
fait strictement camerounais ou africain mais bien une réalité à
l’échelle mondiale. Il est toutefois opportun et urgent de préconiser
des interactions justificatives d’une dynamique constructive. Loin de
nous donc l’idée de vouloir faire reposer les régions sur des
communautés ethniques. Il est plutôt question de fonder celles-ci sur
des filiations d’intérêts qui dépassent une vision locale de l’intérêt
général, mais qui s’appuie aussi bien sur les individus que sur les
communautés, afin d’appréhender l’intérêt supérieur de la nation comme
une valeur qui ne se réalise qu’avec l’apport valorisé de tous.
L’Etat postcolonial doit donc
courageusement prendre en compte cette face difficile de son existence.
Pour être plus fort, on affronte les contraintes, on ne les évite pas.
Il est possible de faire des communautés ethniques un facteur essentiel
d’intégration plutôt que de les abandonner à ce qu’elles sont depuis
quelques années des facteurs de domination, d’isolement, de
fractionnement et d’inhibition dans notre capacité à construire le
«vivre-ensemble» . La politique doit être le lieu où se recherche, par
le débat, la parole, la discussion, le consensus, l’équilibre entre le
local et le central, entre le régional et le national. C’est le lieu
par excellence où se scellent le pacte de notre société/communauté ,
notre goût, notre connaissance et notre compréhension des autres, notre
envie d’y vivre, d’y construire des projets, des idéaux, des familles
et des ententes. Or, comme on le sait, il n’y a que ceux qui se parlent
qui se comprennent, ceux qui se comprennent qui se connaissent, ceux
qui se connaissent qui se tolèrent, ceux qui se tolèrent qui
s’apprécient, ceux qui s’apprécient qui vivent ensemble, et ceux qui
vivent ensemble qui s’aiment véritablement. C’est cela une des
définitions ou compréhensions du sigle « UPC » (Union des populations
du Cameroun) à nous léguée par Um Nyobé.
La Nation (du latin natio, naissance)
peut être définie comme «une société/communauté historique
identifiable soit par une ascendance biologique soit par un ancrage
territorial et surtout par une tradition ou des traditions » et dans
la structuration de la société/communauté à travers l’élément le plus
déterminant qui est l’imaginaire social . Ce qui permet aux différentes
composantes de la nation et aux citoyens (nes) d’acquérir une
conscience nationale. Hier, l’UPC a voulu atteindre ce dessein par la
définition de ses objectifs stratégiques en 1948 ; plus tard, les aléas
politiques résultant du fait des colonialistes, l’ont amenée à entrer
en clandestinité et à prendre les armes en juillet 1955. Aujourd’hui,
les facteurs de cette prise de conscience nationale pourraient être
entre autres, la valorisation et la présentation des cultures de notre
patrimoine et des groupes humains dans une institution bâtie sur les
valeurs positives de tous nos terroirs.
D’où la création, parmi d’autres
initiatives, d’un véritable musée national parmi plusieurs initiatives,
qui a un message à transmettre, en l’occurrence celui de « référer à un
passé disparu ou en voie de l’être, d’instruire le public, de
l’émouvoir, de le divertir […], pour raconter une histoire.» Ce musée
national doit avoir le pouvoir de contenir les valeurs nationales,
valoriser et promouvoir les cultures camerounaises et africaines,
symboliser et matérialiser le passé et les courants sociologiques du
Cameroun contemporain. C’est aussi le pouvoir d’apaisement et de
réconciliation, jamais encouragé par le pouvoir en place.
(A suivre)